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Les Etats-Unis et les fantômes de Guantanamo

Plus de vingt ans après son ouverture, en janvier 2002, les Etats-Unis n’en ont toujours pas fini avec la prison militaire de Guantanamo, allégorie de l’aveuglement de l’administration de George W. Bush (2001-2009). Une volte-face du département de la défense vient de le rappeler cruellement. Après avoir accepté dans un premier temps un accord, annoncé le 31 juillet, dans lequel trois prévenus accusés d’avoir participé à la préparation des attentats du 11 septembre 2001 acceptaient de plaider coupable des accusations de conspiration dont ils devaient répondre en échange d’une condamnation à la prison à vie, le Pentagone s’est ravisé. Trois jours plus tard, le secrétaire à la défense, Lloyd Austin, a révoqué en effet cet accord sans doute sous la pression des associations qui rassemblent les familles des attentats les plus meurtriers jamais perpétrés sur le sol américain, comme des élus du Parti républicain.
L’annulation de cet accord qui permettait à ces accusés d’échapper à la mort renvoie les Etats-Unis à l’obstacle auquel ils se heurtent depuis plus d’une décennie. Que faire de cette prison militaire dans laquelle ont atterri plus de 700 « combattants illégaux », une définition qui permettait de s’abstraire du droit, et qui n’en retient plus aujourd’hui qu’une trentaine ? Les deux tiers, à qui rien n’a manifestement été reproché, font l’objet de « recommandations pour transfert », autrement dit de libérations qui tardent à se concrétiser, en dépit des appels émanant d’organisations de défense des droits humains comme le Comité international de la Croix-Rouge.
Les procès contre la dizaine restante, dont la figure la plus connue est Khalid Cheikh Mohammed, accusé d’être le cerveau de ces attentats et qui était concerné par l’accord finalement annulé, relèvent de la gageure. Ils reposent en effet sur des aveux obtenus grâce à des « techniques d’interrogatoire poussé », l’euphémisme retenu par l’administration de George W. Bush pour évoquer la torture pratiquée systématiquement à Guantanamo comme dans le réseau des prisons secrètes mises alors en place par la CIA. Un rapport impitoyable du Sénat américain, publié en 2014, avait prouvé de manière indiscutable que ces pratiques n’avaient pas permis d’obtenir des informations fiables, mais qu’elles avaient durablement dégradé l’image des Etats-Unis.
Ces dérives ont été les symboles des errements dramatiques de la « guerre contre le terrorisme » déclenchée par un pays traumatisé. Il y a perdu son honneur, ses valeurs, au prix de deux occupations ruineuses et vaines, en Afghanistan et en Irak, de dizaines de milliers de victimes civiles et d’une instabilité durable. Plus de vingt ans après, on mesure combien le mépris des règles que les Etats-Unis étaient parvenus à faire accepter après la seconde guerre mondiale a marqué le début d’une grande dérégulation internationale, du droit comme de la violence. Ces précédents ont fourni aux puissances révisionnistes que sont la Russie et la Chine comme à de nombreux « pays voyous » les alibis rêvés pour justifier leurs écarts.
Les tentatives de Barack Obama de fermer Guatanamo s’étaient heurtées au Congrès. Donald Trump a assuré ensuite regarnir la prison militaire de « méchants », sans finalement n’en rien faire. Mettre un terme à ce que des experts mandatés par les Nations unies ont qualifié de « trou noir légal » devrait pourtant être une priorité.
Le Monde

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